MES TOURNANTS ROVIGO

 

« Ainsi que les pluies d’hiver nous apprennent, dans les silences d’une intime grâce, l’univers de nos chambres,
nous avons été conduits par le temps de la guerre à mieux connaître nos biens ultimes. »

Max Pol FOUCHET

Mes Tournants Rovigo
Album : Mes Tournants Rovigo

29 images
Voir l'album

Mes Tournants Rovigo commencent très loin.

Bien avant d’être amputés de leur première partie, devenue rues Dumont d’Urville et rue Henri Martin, ils étaient déjà les Tournants Rovigo.

C’est au square Bresson que commence vraiment l’incroyable serpentin de virages plus ou moins aigus qui de cette place aux petits ânes emmènera haut, très haut, vers le large boulevard de la rampe Vallée, plus loin vers El-Biar.

Dans ce long parcours chaque virage frôlera de plus ou moins près la Casbah sur sa droite, traçant ainsi une ligne sinueuse, du port d’Alger au point le plus bas, jusqu’à Barberousse au plus haut.

Le square Bresson ne voit jamais la lumière du soleil : les arbres serrés sont extrêmement touffus et à feuilles persistantes. Il fait bon, même aux plus étouffantes chaleurs, ce qui doit bien soulager les petits ânes qui semblent tourner depuis toujours.

La rue Bab-Azoun est là toute proche, mais elle annonce un autre monde qui n’est pas celui des Tournants : la place du Gouvernement, Bab-el-Oued…

L’Opéra, face au square, dit tous les souvenirs, toutes les voix qui flottent dans notre mémoire, toutes les étapes qui marquent notre jeunesse, de la salle aux coulisses où l’on attend anxieux les résultats d’un concours que le Directeur du Conservatoire annoncera, solennel, depuis le premier balcon.

Les voix, elles, demeurent plus que les visages : à jamais « les clochettes » de Lakmé resteront le cristal pur de Mado Robin prolongeant la note finale de son grand air d’une façon qui nous semble infinie.

Le public algérois est à ce point enthousiaste, que les plus grands de l’époque aiment l’affronter. Certaines voix se retrouvent ainsi de saison en saison : René Bianco, superbe baryton, terrible Scarpia, bouleversant Rigoletto.

Fabuleux César Vezzani nous revenant chaque année avec sa puissante voix de ténor, large, généreuse : le grand air de Samson et Dalila, « Vois ma misère hélas, Seigneur, vois ma détresse » arrachait nos larmes, cependant que Vezzani esclave, tournait la noria à laquelle il était attaché par la perfidie d’une somptueuse Dalila – Simone Couderc –

Vezzani, incorrigible séducteur et homme élégant, montait les Tournants Rovigo pour saluer « Raphaël, le tailleur des artistes, l’artiste des tailleurs », dont il était l’ami, mais certainement aussi pour retrouver quelque conquête, car il avait, en toutes saisons un bouquet de roses à la main.

Et puis le couple Monique Florence – Georges Bouvier, terrible à la ville comme à la scène, et inégalable dans ce mélo qu’est « le Chemineau ».

Bien des années après leurs exploits je retrouverai dans les couloirs du Conservatoire de Bordeaux ma nouvelle collègue, Monique Florence nommée professeur de chant, surprise alors de m’entendre évoquer ces années lointaines et heureuses de sa carrière.

Un beau jour celui qui devait devenir mon beau-frère Félix Giband, après une belle carrière à la Monnaie de Bruxelles, fit une prise de rôle remarquée dans le Méphisto de Faust. Il fut parfait, sautant avec légèreté, malgré un poids déjà respectable, sur la table d’où il allait nous impressionner par sa voix de basse noble dans un « Veau d’or » qui est toujours debout.

Las ! le ténor ce jour-là après une jolie carrière internationale avait beaucoup pris de poids, mais vraiment beaucoup ! A ce point que ses déplacements en scène étaient quasiment impossibles, et c’est assis, et bien décidé à le rester qu’il tenta de séduire Marguerite. Heureuse époque !

Heureuse époque oui, où un pâtissier d’Alger, Pierre Portelli fut à ce point amateur de belles voix qu’il prit la Direction de l’Opéra après la guerre pour la conserver jusqu’à l’Indépendance, nous proposant les plus belles voix internationales. 

Tout à côté de l’Opéra le Tantonville brasserie sélecte où se retrouvent les artistes après spectacle et un Alger un peu mondain.

Et les Tournants Rovigo dans tout cela ? Eh bien ils commencent là, par la rue Dumont d’Urville, cette usurpatrice qui s’incurve par un long virage à droite.

Un bel immeuble hausmannien, sur la gauche, renferme une salle de répétition de danse : le studio Darmen, que va utiliser la jeune Télévision algéroise dès ses débuts en 1958, et réaliser chaque mois deux dramatiques et une lyrique en français, une dramatique en langue arabe ou kabyle. 6 000 récepteurs à Alger en 1958.

Ce studio Darmen connaît aussitôt une activité intense. D’une grande utilité, il permet aux différents acteurs de répéter en centre ville, sans se rendre au lointain immeuble télé du boulevard Bru.

Trois réalisateurs se partagent les dramatiques françaises : Jacques Manlay, Paul-Robin Benhayoun et Jacques Ordinès. Albert Dagnant belle voix de basse avait, avant 1958, fait une honorable carrière de chanteur d’Opéra. Il dirigea tous les lyriques, Opéras et Opérettes, de Mozart à Christiné. Durant ces répétitions au studio Darmen, une adolescente, dans un coin de la salle observe les indications données par son père : bel apprentissage pour celle qui deviendra Josée Dayan, talentueuse réalisatrice de dramatiques Télé.

Le studio Darmen jouxte l’église Saint Augustin dans laquelle le mercredi des Cendres du 15 février 1961 je dirai pour la dernière fois dans cette église « La prière du vœu de Willette », destinée aux artistes qui mourront dans l’année.

Tout à côté de l’église, la maison Colin, concessionnaire d’appareils électriques a organisé en 1926 les premières émissions radiophoniques, le tout début de ce qui deviendra Radio-Alger, puis France V.

Sur ce même trottoir à quelques mètres la librairie Soubiron, établissement très vaste, tout en longueur, spécialisé dans les livres scolaires, et à ce titre en relation avec les écoles d’Alger. L’école Dordor me demandera, ancien élève, d’animer une section théâtre en 1958-59, et ne pouvant me rétribuer en espèces, me proposera une dotation de livres de mon choix à prendre chez Soubiron. Cinquante ans après, le Molière relié de chez Garnier, et le Ronsard de luxe de chez Brocéliande, sont toujours près de moi.

La rue Dumont d’Urville prend fin avec Soubiron. Trois choix s’offrent alors : plonger dans la rue de Tanger qui longe Soubiron, saluer au passage mon oncle Eugène, ébéniste de talent, auquel on doit les beaux comptoirs de luxe d’Alger comme celui du Casino, ou aller buter contre la façade des Beaux-Arts à la toute fin de la rue de Tanger.

Les Beaux-Arts : on y enseigne musique, danse et diction. Un très brave homme, Monsieur Santoni, à l’effrayant strabisme, contrôle les entrées. Monsieur Santoni filtre, mais il conseille aussi. S’il y a deux classes, de diction par exemple, Monsieur Santoni recommandera vivement aux parents telle classe plutôt que telle autre – par sympathie spontanée tout simplement. (Vous pouvez consulter un article sur l’Ecole Municipale des Beaux-Arts d’Alger sur le site d’Es’mma)

Il saura habilement me guider vers la bonne classe, à l’entrée, et des années plus tard, nommé professeur je sus m’en faire un ami : ma classe s’étoffa assez rapidement, non par mon talent, mais par ses conseils judicieux…aux parents !

Au carrefour Dumont d’Urville : autre choix possible : la rue d’Isly – qui est son prolongement – mais ce serait une autre histoire, une autre vie. Restons dans nos Tournants. La rue Dumont d’Urville se continue par la rue Henri Martin dans un virage assez marqué à droite.  Juste avant, sur la place qui distribue ce carrefour se trouve une brasserie d’excellente qualité, très fréquentée dans les années 50-60, « le Petit Ballon », plus communément appelé « le Ballon ».

Une belle histoire, apocryphe peut-être, mais belle cependant comme le sont surtout celles qui sont apocryphes, accompagne le souvenir de ce lieu très couru d’Alger. Cette brasserie est un jour l’objet d’une dénonciation, probablement, et voit arriver les inspecteurs du Fisc. Ces messieurs comptent et recomptent, épluchent, vérifient : rien. Un inspecteur du Fisc n’abandonne jamais ! Accablés, ils persistent courageusement. Quand tout à coup l’idée vient à l’un de ces messieurs : comparer le nombre de repas servis au nombre de serviettes utilisées. Le nombre de serviettes étant dans une proportion largement supérieure au nombre de repas, la cause était entendue. Mais la belle brasserie a survécu bien au-delà de ces misérables comptes de serviettes et torchons.

Tout au début de la rue Henri Martin, à gauche, « Le Petit Duc », magasin de lingerie, de vêtements, de tissus où des générations de mamans ont acheté leurs chemises de nuit en pilou ou nos tabliers noirs brodés d’un filet rouge à chaque rentrée d’octobre. La rue Henri Martin est assez courte. Dans un virage à gauche assez large elle va devenir enfin Tournants Rovigo, après avoir frôlé de très près l’arrière de l’Opéra où se trouvent les salles de répétition de danse, et les réserves de costumes.

Monsieur Robert est LE costumier de l’Opéra d’Alger, mais pas seulement : Monsieur Robert a, par contrats, la concession d’une quinzaine de salles lyriques en Afrique du Nord, et en France. Dans d’immenses panières en osier partent régulièrement de ses cavernes d’Ali Baba des Cavalleria Rusticana, des Faust, ou des Filles de Madame Angot. Incroyable trésor de milliers de costumes, propriété de Monsieur Robert, sur lesquels oeuvrent couturières et repasseuses.

Monsieur Robert, très enveloppé et suant beaucoup du fait de cet invraisemblable entassement de velours de brocards, trône assis à l’entrée des réserves : il ne se lève jamais, il surveille !

Ali, jeune adolescent, à la culture costumière encyclopédique, ira chercher, à l’aide d’une échelle qui glisse le long des empilements de siècles de broderies le Louis XV que vous avez souhaité.

Un peu déçu à l’arrivée de la défroque aux manches trop longues, au col trop large, vous manifestez timidement quelques réserves : Monsieur Robert, alors, dans des indications historico-pédagogiques – qui laisseraient pantois « le tailleur » de Fernand Raynaud tant elles le dépassent de plusieurs centaines de dés à coudre, explique à l’élève (avec l’autorité péremptoire qui va de pair) pourquoi ce Louis XV est celui qui lui était destiné de tout temps –

Trois décennies plus tard je distribue aux élèves de ma classe d’art dramatique les attestations de la Mairie leur permettant de retirer les ensembles qu’ils revêtiront le jour des concours de fin d’année. A leur mine un peu désappointée à leur retour je comprends qu’ils n’ont pas obtenu tout à fait ce qu’ils espéraient. Je les questionne, ils me montrent les reconnaissances de prêt qu’ils ont dû signer : Monsieur Robert !

Monsieur Robert est là, tout près, à Bordeaux, à quelques centaines de mètres du Conservatoire, au bord de la Garonne.

J’en pleurerais de bonheur –

Et j’affirme à mes élèves, péremptoire à mon tour, que ces Louis XV – là sont parfaitement authentiques et convenables !

Mais la rue Henri Martin s’achève et les Tournants commencent vraiment dans ce virage où des senteurs très fortes d’entrepôts de mûrisseries de bananes s’exhalent mêlées à celles des étalages de sardines et crevettes tout autour du grand marché de la Lyre distant de quelques mètres. Les immeubles sont hauts, quatre étages de style Second Empire. Ils filent vers le grouillant carrefour du Cadix.

Le Cadix où l’on hésite entre trois choix : dévaler la rue Mogador vers les escaliers de l’Olympia, qui côtoie le Casino. Mais ce serait aller vers le plateau d’Isly beau monde chic et toc.

Prendre plutôt la rue Dupuch pour retrouver l’Ecole Dordor et plus loin les Quatre Canons ?

Non, au Cadix faire une pause chez Monsieur Cassar, le droguiste. Dans un local pourtant loin d’être spacieux, Monsieur Cassar a entassé, empilé, superposé des milliers d’objets en fer blanc à toutes les destinations possibles de râpage, broyage, et concassage, des centaines de produits de nettoyage, désinfectants et lubrifiants… Monsieur Cassar a une solution à tous nos problèmes ménagers, quels qu’ils soient ! Il est à lui seul le Bazar de l’Hôtel de Ville que nous n’avons pas.

Mais au Carrefour du Cadix se présente le tournant à droite le plus aigu qui soit, à 360 degrés presque, une véritable épingle à cheveux : les trolleys bus électriques des C.F.R.A. voient régulièrement sauter la perche qui les relie au courant électrique. Arrêt, et le pauvre contrôleur-vendeur de tickets, descend du véhicule, bataille longuement afin que la perche s’emboîte enfin dans la ligne d’alimentation.

Dans le même temps de longues charrettes à cheval montent les Tournants avec d’énormes chargements. Les chevaux peinent et glissent sur les pavés, les charretiers les fouettent durement. Le trolley repart, les chevaux s’emballent.

A l’angle aigu de ce redoutable virage un marchand de beignets : un petit rond de pâte travaillée à la main, jeté de loin dans l’huile brûlante, le beignet gorgé d’huile, servi dans un petit bout de papier : une inoubliable « madeleine » de ce temps perdu.

Les Tournants montent toujours : à gauche le magasin « La Coccinelle » : la joliesse et la modestie du nom disent bien que nos mères des derniers Tournants trouveront là ce qu’elles n’auront ni le temps ni les moyens d’aller se procurer au Petit Duc, ou aux lointaines Galeries de France d’Isly.

Une longue montée encore, la rue s’élargit, le soleil passe mieux entre les immeubles et apparaît bientôt le square Montpensier.

Le square Montpensier un quartier, à lui tout seul.

Le cinéma d’abord, une grande salle aux fauteuils en bois, bruyants lorsqu’ils basculent. Ni ouvreuses, ni esquimaux Gervais mais un entracte après les actualités Pathé Cinéma, puis enfin Laurel et Hardy, Raimu, Ginette Leclerc : « La femme du boulanger », Stroheim, Fresnay : « La grande illusion », Pierre Blanchard : « Pontcarral Colonel d’Empire » ; puis Laurence Olivier, Viviane Leigh « Les hauts de Hurlevent », et puis et puis…  Que sont mes amis devenus qui avec moi ont usé ces sièges ? Edmond dont le père est l’ébéniste du quartier, Mustapha passionné de foot : son père arbitre international l’initie aux matchs à Saint Eugène…

Montpensier frôle la Casbah au plus près, seule la vertigineuse descente d’escaliers du Boulevard Gambetta nous en sépare. L’école Gambetta à droite. De face barrant le boulevard dans toute sa largeur le toit gris à plusieurs pentes, très halles de Baltard, du marché de la Lyre qui masque le toit de l’Opéra tout proche. Au-dessus, au loin la ligne bleue de la mer et du port d’où s’échappent ou reviennent  la Ville d’Oran, la Ville d’Alger, plus tard le Président de Cazalet, que le remorqueur Saint Louis guide autour des passes de la jetée.

Les jours de brouillard bas seule la sirène lancinante de l’Amirauté nous dira que la mer est là, tout près, « toujours recommencée ».

Rue Montpensier un autre marchand de beignets avant d’attaquer la montée des derniers Tournants, mais le tour de main et le jeté à l’huile n’égalent pas celui du Cadix…

Sur la place, face au square Montpensier et à son kiosque à musique, au bas des escaliers de la rue Duclaux qui escaladent le quartier suivant : une petite boutique verte très étroite tenue par un homme en gandourah blanche immaculée et d’une grande dignité : le seul marchand de tabac de ces virevoltants Tournants.

Lui faisant face deux cafés : le français : anisette et kémias. Le café maure : thé à la menthe et dominos. Les Tournants montent toujours, raides cette fois et de plus en plus larges : enfin la Cité Bisch !

Comme le Cadix, comme Montpensier, la Cité Bisch : un quartier, et un autre monde. Les deux populations se mélangent enfin, français, arabes, italiens et espagnols étant nombreux dans toutes les petites rues ou impasses que distribue la serpentine rue Dupetit-Thouars, qui naît dans ce quartier populaire, mais a la prudence de s’arrêter au bas des quatre canons vers le numéro 100 pour ne pas agréger les quartiers chics, au loin, qui ne sont pas son monde…

Etre de la cité Bisch, en être, est une marque de reconnaissance à jamais, comme d’autres se revendiqueront de Bab-El-Oued ou de la rue Michelet.

(Un lecteur du blog, Monsieur Bentata Mustapha me communique le 28/1/2021 les renseignements suivants : M. Bentata a rencontré à Paris des descendants de la famille Bisch. Ces derniers lui ont précisé que leurs ancêtres, en Algérie, avaient à leur service des personnes s’adressant à eux en les appelant  »Sidi Bisch » (Monsieur Bisch) - Le Sidi Bisch en question serait ainsi devenu par la suite : Cité Bisch.)

Avant de quitter le quartier les dernières charrettes à cheval ont enfin gravi tous les Tournants et rejoignent les écuries de la petite rue Cavour, en passant au début de la rue François Villon devant la boulangerie où les deux très jolies filles Bérenguer servent au comptoir sous le regard de leur mère au chignon sévère.

Un large virage à droite : les immeubles des « Anciens Combattants », modernes, dominent Alger de leurs très hauts étages. Au pied des immeubles une épicerie mozabite : il en fallait une dans notre décor. Au sol de grands sacs de jute aux bords retournés : haricots blancs, pois chiches, fèves, poivrons rouges, tomates, aubergines et courgettes. Et Barmett et ses frères. Mais est-ce Barmett ou est-ce son frère ?

Nous ne saurons jamais, car avec la traditionnelle rotation vers le M’zab de six mois en six mois, c’est peut être Barmett mais c’est peut-être aussi son frère tant ils se ressemblent et sont interchangeables. Mais comment faisaient-ils, l’un ou l’autre, pour que l’énorme motte de beurre sous sa cloche de verre ne fonde jamais dans ce magasin surchauffé ?

Un tournant, encore plus large, et c’est la pleine lumière au bas de la rampe des Zouaves. Etait-elle rude cette rampe, pour monter à Sainte-Croix le dimanche !

Les Tournants ne tournent plus : ils achèvent leur longue ascension au pied du Boulevard de la Victoire. Montons-le lentement une dernière fois : à gauche, sur une large bande caillouteuse de terre battue le plus invraisemblable déballage d’objets à jamais inutiles, de cartes postales aux baisers affectueux, de détritus et de squelettes de vie et de mémoires à jamais disparus et à jamais invendables. Et qui cependant trouveront un jour acquéreur. Un ou deux cercles se forment autour des conteurs aux transes savamment étudiées, assis sur un petit coin de tapis poussiéreux.

L’imposante silhouette de la prison civile que nous n’appellerons jamais que « Barberousse », se profile déjà tout en haut du boulevard. Le vendredi de longues files de femmes vêtues de leur haïk blanc se dirigent vers le cimetière d’El Kettar…

De loin nous parvient la musique du 9ème Zouave

qui répète vers les Quatre Canons :

« As-tu vu, la casquette, la casquette ? »

Non je ne l’ai pas vue, elle qui hante ma mémoire depuis longtemps. Seule la police peut être…

« toujours pleine de malice, pan, pan »

a-t-elle une vague idée…

Des odeurs de café grillé dans des petits cylindres métalliques qui tournent inlassablement sur des kanounes de braises rouges…

Les derniers joueurs de crotales, venus du désert, ne nous effraieront plus par le bruit claquant de leurs immenses castagnettes et leurs yeux terrifiants rythmant leur danse derviche. Partis du square Bresson, eux aussi, toute cette journée de chaleur accablante ils ont dansé, tourné et effrayé, les enfants que nous étions dans ces tournants sans fin. Il y a longtemps que nos mères nous ont demandé de leur jeter les derniers sous…Avant qu’ils ne s’engouffrent dans les minuscules rues de la haute Casbah : rue d’Héliopolis, des Vandales, ou des Pythieuses…

 Et avec eux notre mémoire.

« Que sont mes amis devenus

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés ?

Le vent je crois me les a pris

L’amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta »

Ruteboeuf

Publié dans : Mes Tournants Rovigo |le 28 février, 2010 |70 Commentaires »

Vous pouvez laisser une réponse.

70 Commentaires Commenter.

1 3 4 5 6 7
  1. le 4 janvier, 2018 à 10:46 André Limoges écrit:

    Il est bien vrai que ces personnages ont eu une influence profonde sur nous, puisque nous parlons toujours d’eux, soixante dix ans après, malgré la main lourde de Daumas, ou les “baffes” de lebraty qui n’étaient pas plus légères ! Ils étaient ces maîtres à l’ancienne, ces “hussards de la République”, en blouse grise ou noire, qu’aucun parent n’aurait alors agressé en leur reprochant quelque geste un peu rapide envers leur enfant. Nous les avons craints – Et nous les aimions – C’est une belle réussite pour cette Ecole là ! Monsieur Aimé Grinda fut un directeur fort impressionnant lui aussi, avec sa barbichette blanche, et ses souliers à claquettes qui nous figeaient lorsque nous l’entendions arriver. Il avait succédé à Monsieur Subervielle qui figure sur la photo où tous les maîtres sont rassemblés et qui est sur mon blog avec aussi, les photos de Fébrer et Lebraty. Merci d’avoir fait ressurgir ces émotions. A.L

  2. le 28 octobre, 2018 à 19:23 Mestoul Leïla écrit:

    Beaucoup d’émotion à lire ces lignes qui décrivent le quartier où je suis née et où j’ai grandi, au 12 de la rue Dupetit-Thouars. personne n’a évoqué notre petite école que toute ma famille a fréquentée.

    J’ai passé deux années de ma vie dans la petite école Saint-Croix qui m’ont marquée à jamais. J’ai un souvenir ému de Mademoiselle Bagur et de Mademoiselle Saturnino, nos magnifiques institutrices.

    Je me souviens très bien aussi de Madame Mesquida qui tenait son épicerie juste en face de notre maison. Nous y achetions des caramels durs ou tendres. J’en ai encore l’eau à la bouche!
    Ma grad-mère habitait au 82 rue Rovigo et je me souviens très bien de la famille Bérenguer. J’évoque ici les années 50 et les filles de la famille s’appelaient Rosette et Conchita et leurs mantecaos étaient exceptionnels

  3. le 30 octobre, 2018 à 15:24 André Limoges écrit:

    Quel plaisir Leïla Mestoul que d’entendre parler de ma chère rue Dupetit Thouars qui est pour moi un peu une histoire de famille !
    Mon frère habitait le 11, ma soeur a fréquenté la même école que vous au 13, je suis né au 12, comme vous où habitait je crois Madame Abat ? et j’ai vécu au 31bis jusqu’en 1961. La petite école Sainte Croix jouxtait l’Eglise Sainte Croix où officiait un très saint homme, grand érudit : Le Chanoine Thiolly – Et Madame Bagur, mère de votre institutrice, faisait le catéchisme. Peut être nous sommes nous rencontrés quelque part par là, ou au comptoir de Bérenguer où j’admirais Rosette et Conchita ! Bien amicalement A. Limoges

  4. le 29 janvier, 2019 à 19:16 Folques Gilles écrit:

    Moi aussi je tiens à vous remercier toutes et tous pour ces évocations ! je suis né en Septembre 1950, j’habitais au 19 rue du Petit Thouars, presque au dessus de la petite épicerie , dans mon souvenir elle était tenu par un couple Kabyle, le monsieur travaillait aussi à la Grande Poste d’Alger. Le passage Picon était mon terrain de jeu , et bien sûr j’allais à l’école Dordor !!
    Au milieu de la rue Dupetit Thouars ma tante Jeanne habitait un pauvre deux pièces avec les toilettes sur le palier d’entrée.
    Elle nous laissait un bol de chorba sur la fenêtre au retour de nos balades vers les quat’canons …
    J’ai eu moi aussi Mr Chabanis comme instit, et d’autres bien sûr, sévères mais plutôt bienveillants !
    Je porte Alger en moi depuis cette époque , ses odeurs, ses lumières, ses cuisines, son accent (vite perdu!), sa chaleur humaine…
    Trés cordialement !
    Gilles F.

  5. le 4 février, 2019 à 16:21 André Limoges écrit:

    Le passage Picon et la rue Dupetit-Thouars nous ont-ils à ce point touchés que nous les évoquions , vous et moi, à plus de soixante ans passés ! Je me souviens de la maison du numéro 19, qui nous étonnait par l’état impeccable de ses murs et volets, semblant toujours refaits à neuf. Ces volets nous intriguaient aussi car ils étaient souvent clos. L’épicerie dont vous parlez fut tenue quelques années par Monsieur Di Nero, commerçant fort sympathique consentant de longs crédits aux plus nécessiteux de ce quartier populaire. Il céda ensuite son commerce au couple dont vous vous souvenez. Merci d’avoir évoqué ces souvenirs de notre jeunesse s’enfuyant vers les quatre canons ! Très cordialement

  6. le 7 février, 2020 à 17:34 Philippe COMTAT écrit:

    Je suis né le 31 Octobre 1936 à la clinique Laverne rue Michelet dirigée par le docteur Soulacroupe,je suis du village de Mahelma où mon père était viticulteur,je suis allé à l’école communale jusqu’au certicficat d’étude avec mes copains André DANGLAet sa soeur Maddy,Roland MORLA,René MOURIé,Lucien BARCELON,Eliette SEGUI et son frère Claude,Nadège CHMER,Sylvie GOMEZ,ensuite je suis parti faire ma sixième à Saint Bonaventure à Alger pour terminer à Saint Joseph d’El Biar jusqu’en 1953.En 1955 je m’engagais au 1er R.T.A. de Blida où après avoir fait l’école militaire de Cherchell, j’étais muté au 17° B.T.A. de Djelfa où alors que je me trouvais en permission je perdis toute ma section dans une embuscade !

  7. le 2 mars, 2020 à 16:30 Riera James écrit:

    Bonjour à toutes et à Tous,

    j’habitais au 82 rue Rovigo.Juste au dessous de la boulangerie Beringuer dont Vincent était joueur à l’ASSE. je suis né fin 1938.Durant la guerre, j’étais écolier Chez Mme Bagur. Chaque matin, Je rejoingnais le groupe qui remontait vers St Croix. Les Blasco de la Lorraine Sportive..Les Buades..
    je me souviens bien de la famille Beringuer notamment le Père.
    J’ai fréquenté l’école Mailhes, puis le CTA.
    Je retrouve un tas de noms connus dont les ‘Mestoul’. habitaiez-vous après l’épicerie ((Meziane ?). Oui M Mesquida, à coté du garage squoda avec sa pompe à main..Oui la rue des écuries avec l’épicerie Sapena. Oui le café de l’horloge et M Stoppa puis les ‘Pelicer »
    Que de merveilleux souvenirs !!
    Merci..
    Amitiés,

    Jimmy.

  8. le 2 mars, 2020 à 17:35 Riera James écrit:

    De 1939 à 1962
    Eh Oui, Ortunio; Lazali, les escaliers Duclos; le café Maure: La pompe Buffard, Puis en face , en remontant après le square M Adam qui fabriquait minutieusement des boutons, Puis M Henri( Mille) le coiffeur, Moresse le plombier; Skodja,Puis Mme Mesquida…Après un espace boisé puis les bains douches…Après un policier avec son chien  »tarzan » qui le matin portait a son  »patron »,de chez  »fifine » le pot au lait et le journal…M Perz ébéniste et Junca l’epicier….
    Que de souvenirs !

    Amitiés,

    Jimmy,

  9. le 2 mars, 2020 à 19:12 Riera James écrit:

    J’ai connu la  »tonnelle » à l’angle de la rue Augustin Thierry.
    Le patron était M Lostice: Rovigo, jsute avant l’epicerie Spinosa; Puis le radio M Oger.
    Amitiés,

  10. le 3 mars, 2020 à 23:59 André Limoges écrit:

    Il est bien vrai que la boulangerie Beringuer devait sa réputation tout autant à la qualité de son pain qu’à la beauté des filles Beringuer au beau regard noir. Que le souvenir de Madame Bagur soit évoqué ici est un juste hommage rendu à son incroyable dévouement – Elle aura servi et Sainte Croix et le brave Père Thiolly pendant plus de cinquante ans. Une partie de ma famille habitait au numéro 11, et les Buadès logeaient à l’étage au-dessous. Habitant au 31bis nous allions dans une épicerie qui devait être au 25. Mais je me souviens bien de Madame Mesquida dont le mari encaisseur à la Banque de France était très fier de son uniforme, et aussi du café de l’Horloge où mon père “tapait” la belotte ! Et comment oublier les écuries situées derrière le café rue Cavour et dont on voyait rentrer les attelages le soir dans un grand tintamarre ! Savez-vous que la Lorraine sportive d’Alger a remporté le prix d’Honneur de Musique en France en 1937 ! Merci James Riera pour ces beaux messages. A.L

1 3 4 5 6 7

Laisser un commentaire

Bulles de vie |
Les moments parfaits |
Journal d'une fille sans av... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Mes amours, mes trésors, vo...
| naturolife
| greengreen