L’ECOLE DORDOR

L’école Dordor est située au croisement de trois rues :
la rue Dupuch qui naît au carrefour du Cadix, dans les tournants Rovigo, pour se terminer au Gouvernement Général ;
la rue Saint Augustin sur l’arrière de l’école, où se tient un marché très animé : elle aboutit route des quatre canons, proche du Fort l’Empereur ;
la rue Levacher enfin, qui par une suite d’interminables escaliers aboutit rue d’Isly dans le centre de la ville, dans le sens de la descente d’un côté : pour venir se perdre à son autre extrémité, dans le sens de la montée, sur les premières hauteurs de la ville, rue Dupetit Thouars.
L’entrée de l’école se situe rue Levacher – c’est une école de la République, comme des milliers d’autres à l’époque en France, en Algérie.
Pour des dizaines de milliers d’entre nous elle restera à jamais non pointl’école de la République, notion tout à fait lointaine et abstraite, mais « Dordor ». Entrer à « Dordor », passer son BEPC à « Dordor », en avoir été, avoir connu ses maîtres sévères ou indulgents, est un titre de gloire dont nous sommes plus fiers que de tous les diplômes glanés ensuite dans les écoles supérieures de ceci ou cela ;
- Dordor – (appelons la ainsi pour nous l’approprier à jamais) avait quatorze classes :
les classes préparatoires, élémentaires première et deuxième année, moyennes première et deuxième année. Ces classes étaient doublées – donc 10 classes au total pour le primaire.
Le cours complémentaire de la 6ème à la 3ème : 4 classes.
Les instituteurs – qui ne s’appelaient pas encore professeurs des écoles ! – étaient devraisinstituteurs : c’est à dire qu’ils avaient quelque chose à nous apprendre, et que nous les écoutions… presque toujours.
Le système de mouvement annuel propre à l’Education Nationale existait bien sûr. Mais ces enseignants ne quittaient jamais cette école.
Ils l’ont donc aimée, comme nous ?
Madame Bernard (cours élémentaire) était fort sévère, et tapait sur les doigts avec une grosse règle. Fort heureusement, dans la classe suivante, son mari était toute indulgence et ne grondait jamais.
Madame Gerbineau (cours moyen) avait la réputation d’être une excellente pédagogue, à l’autorité très affirmée. Etre dans sa classe était un gage de réussite pour la préparation à la 6ème.
Messieurs Covès et Chabanis assuraient le cours moyen. Aussi dissemblables que possible l’un de l’autre. Covès tout en sensibilité, en douceur, ne criant jamais, obtenant d’excellents résultats dont se moquaient un peu les Chabanistes dont la classe était rythmée par le mouvement, l’action, pour des résultats tout aussi heureux.
Puis arrivait le moment d’émotion : laisser ces « petites classes » et leurs instituteurs, pour affronter les Profs !
Quatre fabuleux hussards de cette République que nous ne connaissions pas très bien. Ils ont régné, littéralement, sur cette école des années 30 jusqu’en 1960 pour plusieurs d’entre eux.
La figure légendaire et redoutée : Gaston Fébrer. Enseignait la géométrie, la physique avec une précision claire. Son engagement auprès du parti communiste, courageux dans la situation de l’époque, l’amenait à aider ostensiblement les quatre camarades algériens perdus parmi les vingt élèves français de souche que nous étions.
Monsieur Charles enseignait le français et l’histoire-géo en 6ème et 5ème : Monsieur Charles était un dandy, un vrai : tout chez lui résonnait d’élégance : des mains méticuleusement soignées dont il était manifestement fier, jusqu’aux chaussures luxueuses, impeccablement cirées, et dont il se faisait un plaisir de faire craquer le cuir en passant parmi nous. Un enseignant charmeur, et qui nous faisait aimer ce qu’il aimait.
Joseph Lebraty avait la responsabilité des mathématiques dans les quatre classes qui, toutes, le redoutaient. Un être austère, sévère, un être blessé, et qui avait des raisons de l’être. Juif, il fut touché par les lois de Vichy, et durant la guerre 39/45 fut exclu de cette école où il enseignait depuis longtemps déjà.
Il ne revint à Dordor qu’après la guerre, mais l’homme était amer, et dur quelquefois avec nous, sûrement sans le vouloir.
Son engagement syndical, très à gauche, l’a porté à des responsabilités nationales durant plusieurs années.
Le hasard des commémorations fut pour lui, le juif que l’on avait exclu, une belle revanche :l’école dut célébrer ceux des élèves qui étaient morts durant la guerre 39/45. Une chorale d’élèves intervint, Joseph Lebraty en prit la direction et c’est sous son regard que nous avons interprété « l’Hymne à la joie » en l’honneur des anciens élèves morts durant la guerre.
Monsieur Godeau enfin était le professeur de français et d’histoire de la dernière classe de l’école : la 3ème. Cette classe où tout pouvait se jouer lors du BEPC, puisqu’ une épreuve de français se passait à l’oral, avec un fort coefficient.
Faire apprécier Madame de Lafayette ou les petits poèmes en prose de Baudelaire était sûrement une tâche difficile dans une ville où planait rarement « Le soleil bas et lourd qui pèse comme un couvercle ».
Nous étions quatre. Quatre amis à l’écouter. Manu, de parents espagnols ; Mustapha qui habitait les contreforts de la Casbah, à quelques maisons de la mienne ; Edmond, dont la mère était italienne, et le père mutilé de la guerre de 1914, comme l’était le mien. Par un accord amical, bien que compétitif nous nous partagions régulièrement les quatre premières places du classement mensuel. Furieux, lorsque par mégarde un « intrus » venait troubler ce « quarteron » de bons élèves.
Le BEPC vint. Manu, Edmond et moi nous fîmes une joie de venir annoncer le résultat à ces profs qui n’en doutaient pas.
Mustapha se faisait attendre – Pas normal. Il arrive enfin pour nous dire son échec à l’oral, devant un examinateur décidé à l’éliminer. Il le fallait, n’est ce pas ?
Nos professeurs, furieux, le rassurent d’abord. Et lui affirment qu’il réussira à la session de septembre, quelles que soient les questions ou l’examinateur.
« Ils en faisaient leur affaire ».
Il réussit en septembre.
Il fut couvert de prix lors de la fête de fin d’année, de très beaux livres : il me prêta les siens, mais il voulait lire cette Princesse de Clèves que je venais de recevoir et qui l’avait séduit.
Quatre professeurs – quatre élèves -
de l’Ecole Dordor
de la rue Levacher, à Alger.

Vous pouvez laisser une réponse.
Drôle,tendre ,émouvant.Précision de l’emplacement de l’école Dordor,de l’ambiance.Et que les portraits des quatre professeurs et des quatre « bon élèves » sont vivants!
Bonjour, Très chèr ami à mon défunt père mustapha
Je découvre votre blog et ce témoignage pour la première fois grace à votre lettre reçu aujourd’hui même….vous savez je connaisser chaque détail de cette histoire (j’étais plus qu’un ami avec mon père qu’un fils)il m’a tout raconté, même l’histoire de ce français (de peur de me tromper de nom alors je parle de français) qui travailler avec lui à birkhadem et en période de l’OAS il l’attendait devant la porte pour l’aider à s’enfuire puisque il y’avait des hommes qui se préparer à le tuer…..et j’ai plein d’autres histoires de ce genre que je garde précieusement dans ma tête…..mon père été très fière de ses amis et les valeurs qui les ont unis
Mes bien chers Madeleine et André
Que de plaisir, joie, bonheur et émotion bien sûr pour avoir parcouru votre blog.
L’évocation des 4 profs et des 4 mousquetaires que vous étiez m’a beaucoup amusé ;avec votre autorisation , je rajouterai pour la mémoire et l’hommage un cinquiéme : Alfred COULON ,français hist-géo en 3°/4° une décennie plus tard et un éléve, votre fidèle ami Jean-Marc.
C’est Alfred COULON qui nous donna l’occasion de la rencontre en 57/58 puisque c’est grace à lui , et grace à vous deux que nous « jouâmes » La Farce de l’Escarcabasse .
Quelle promenade!
Et par quelle chaleur !
Tiens, asseyons-nous !………
Les pessimistes de tous poils, les négatifs de tous bords diront que remuer les souvenirs cela ne nous rajeunit pas !Bien sûr , que non , c’est tout le contraire tout cela nous rajeunit terriblement ! C’était hier…..! C’est aujourd’hui dans nos coeurs !
A nous revoir bientôt
Fidèlement votre ,Jean-Marc
Eh bien, cher Jean-Marc, quel bel échange de « Mémoires » !
Car si je me suis « escarbassé », il y a bien des années, à faire du galopin que tu étais, un soupirant convenable pour une belle Madeleine, j’en suis récompensé cinquante ans plus tard par la mémoire amicale que tu gardes de cette aventure.
Quelques années avant toi j’ai connu Alfred Coulon : il sévissait déjà (c’est faux, c’était un doux !) dans les petites classes – Or Joseph Lebraty étant souvent absent de par ses responsabilités syndicales, Alfred Coulon le remplaçait – ou du moins, tentait de le remplacer : si l’homme était brave, les maths, elles n’avaient pas l’air de l’apprécier beaucoup !
Oui, tu as raison, pour notre seul plaisir, racontons encore tout cela – Qui dirait autrement les cours de musique avec Mademoiselle Goujon, dont les sales pestes que nous étions imaginaient pouvoir arracher la perruque (qu’elle était laide !) au moyen de quelque crochet savamment pendu ?
Et les cours de gymnastique « aux quatre canons », où profitant du plein air, nous nous échappions un à un lorsque le prof tournait le dos…
La nostalgie est toujours ce qu’elle est,
A toi fidèlement
Chant d’un cygne qui s’efforce de sourire encore, cher André …
Mesdames, Mesdemoiselles (j’en doute…) et Messieurs,
Comme chacun d’entre vous, j’ai pris connaissance de l’émouvante biographie de François-Xavier DORDOR rédigée par Jacques-Yves DESROUSSEAUX (et qui n’est pas l’auteur des « Emile » comme tout un chacun pourrait le croire).
Jean-Jacques possède une excellente mémoire puisqu’il se souvient avoir été l’arrière petit-fils de F-X D (je fais bref).
Je possède, quant à moi, une version différente. Triviale diront certains …
En 1948, à l’âge de six ans, ma mère me confia la mission de pister son flic de mari. Je venais d’entrer au CP de l’Ecole DORDOR qui se trouvait au beau milieu du trajet conduisant du Commissariat Central jusqu’au 98 de la rue Rovigo.
Malheureusement pour mon père, je le surpris un jour en pleine … débandade, et en compagnie de quelqu’un qu’il me présenta comme un ami. Après avoir prêté serment que maman ne saurait rien, voilà ce qu’il me raconta.
Notre école primaire fut effectivement fondée par François-Xavier DORDOR, un corse insulaire bien qu’éminent pédagogue, dont le territoire de chasse à la gueuse s’étendait du Cadix jusqu’en haut des Tournants Rovigo.
Deux ans avant sa mort, il crut avoir une crise de foi en sortant de la célèbre Brasserie Montpensier où se tenaient ses habitudes. On doit à la vérité de dire qu’il avait éclusé, auparavant, bon nombre d’anisettes chez MANOUSSE avec mon père. Ni l’un, ni l’autre n’avaient eu l’idée d’aller se taper un beignet arabe chez le boudjadi, juste en face, pour minimiser les effets de la « blanche ».
Revenons à la crise de foi. Chacun se souvient que ce sacré coco de F-X D se proclamait athée. L’Eglise Saint-Augustin était bâtie. Notre-Dame d’Afrique itou. Alors, en désespoir de cause, il pencha (beaucoup) vers la construction d’une école. Oui, mais accablant, car, déjà, les bistrots étaient bannis à l’intérieur d’un périmètre de 75 m de rayon (circonférence = 2piR, pour ceux qui l’auraient oublié, couillons !)
Piètre musicien, il maniait cependant avec virtuosité son violon d’Ingres, puisque franc-maçon à ses rares heures non-occupées.
Notre école fut construite de ses propres mains avec, comme seule aide, son unique truelle, une équerre, trois points, une faucille et un marteau.
Epuisé par une vie remplie d’efforts et de débauches, il ne put achever la pose des trois moellons du pignon sud-est de la classe du deuxième à l’extrême-droite en regardant, droit dans les yeux, le bureau de Monsieur CECCALDI, un breton expatrié du Trégor.
D’où l’idée de notre bon maître, Monsieur CHABANIS, d’installer dans cette pièce, un tuyau de poêle en trompe l’oeil pour cacher la misère. Et on peut le dire, maintenant qu’il y a prescription, pouvoir cloper en douce pendant ses cours.
Que notre Ecole porte le patronyme de son géniteur (qui est peut-être aussi le vôtre, bande de bâtards !) n’est que justice.
Bien évidemment, chacun peut contester la vérité des faits relatés. Et m’attaquer en justice : mon conseil est Maître VERGÈS, l’avocat des crapules.
Jean BOISARD
ancien de Dordor
Cher Jean,
Votre cygne a encore bonne voix pour me transmettre ainsi cette drôlatique version de la construction de notre chère école.
Je connaissais votre texte pour l’avoir découvert sur Internet, et je savais aussi le travail de Jacques Yves Desrousseaux, moins drôle que le vôtre même si plus authentique.
Mon père ayant beaucoup (trop) pratiqué la Brasserie Montpensier, vous verrez que nous finirons par nous découvrir des liens quoique vous affirmiez.
A vous en amitié
André
BONJOUR ET BRAVO POUR VOTRE SITE SUR DORDOR MON ECOLE…
QUELLE EMOTION DE LIRE CES COMMENTAIRES EMOUVANTS DE LA PART DES ANCIENS ELEVES,PETITS COPAINS DE CLASSE INOUBLIABLES. DORDOR AURA ETE L ECOLE DE LA VIE OU NOUS AURONS TOUT APPRIS,DES VALEURS O COMBIEN UTILES ET QUI AUJOURDUI HELAS N EXISTENT PLUS
CHABANIS M AURA MARQUE DE SES PRINCIPES QUI M ONT TOUTE MA VIE ACCOMPAGNE ET JE SUIS FIER A MON AGE D UTILISER SON ENSEIGNEMENT SURTOUT DE FRANCAIS
Votre message me touche car je partage avec vous, et beaucoup d’autres, le sentiment que « Dordor » et ses étonnants « Hussards » en blouse grise auront eu sur nous une influence qui allait bien au-delà de l’étude et de l’algèbre et des mathématiques, et que les années n’ont su effacer pour que nous ayons à ce point le désir de les faire revivre.
Cordialement
A. Limoges
Bonjour,
L’école Dordor !? J’y ai passé tout mon primaire.
J’ai même conçu un site à son propos
http://ecole-dordor.fr
Si cela peut intéresser certains.
Cordialement
Bernard
Merci de m’avoir informé de votre site Ecole Dordor, que je vais consulter avec plaisir, pour tant de souvenirs agréables qui se rattachent aux années que j’y ai passées.