LA RUE DUPETIT THOUARS…. LE RETOUR
Fallait-il revenir – Retrouver les couleurs, les bruits, les chants et les mêmes senteurs ?
Les cortèges funèbres qui serpentaient dans cette longue rue du Fort l’Empereur à El Ketta se font-ils toujours à dos d’hommes à pas glissés et silencieux ?
Les « grands hommes bleus » du désert dansant au rythme de leurs claquettes de métal sont-ils toujours en quête de pièces lancées des étages ?
Traversée en bateau – la seule vraie – Plus de « Ville d’Alger », de « Ville d’Oran » ou de Kairouan » ! Mais leur semblable.
J’attends le lever du jour. Je sais la magie de la vision au loin, très loin encore dans une brume bleutée de la ville blanche. Je sais que la Casbah, grand manteau blanc, apparaîtra la première et écrasera le paysage dont les confins viendront mourir où s’accostera mon bateau.
Pourquoi la magie de cette arrivée opère-t-elle toujours ?
Chaleur écrasante. Pas un souffle d’air. Nous avions oublié.
Ma voiture débarque : direction « La Grande Poste », tous les souvenirs aboutissent là, des plus merveilleux aux plus douloureux.
Madeleine suffoque tout à coup – Cramoisie elle semble prête à défaillir, chaleur et émotion l’envahissent. Tout est trop fort, trop vite. Seul refuge pénétrer dans la Grande Poste, s’approcher d’un guichet – Le verre d’eau proposé aussitôt sera le premier signe d’accueil du « retour ».
On ne monte pas rue Dupetit Thouars en voiture. Dans mes souvenirs m’y suis-je une seule fois rendu en voiture ? La magie n’opérerait pas. Cela se mérite la rue Dupetit Thouars. Cela se gagne ! Escalier par escalier, tournant par tournant.
Dernier virage, la Cité Bisch, début de cette rue, qui au loin, ne saura pas finir mais qui commence de façon animée, bruyante, vivante.
Les petits enfants d’autrefois sont toujours là, occupant la rue de leurs jeux, leurs cris.
Vont-ils poursuivre Madeleine en scandant « Mots et images » titre de l’émission pour enfants qu’elle présentait à la Télévision, et dont ils reprenaient le refrain telle une comptine ?
De cette vieille rue rien n’a changé – Rien n’a pu changer. Soit à la démolir elle restera telle j’y suis né il y a 39 ans au numéro 12. Mon frère y a fondé une famille au numéro 11. Ma sœur a fréquenté l’école de filles du numéro 13.
Mustapha Moussaoui, mon frère de collège logeait au numéro 23. Et Lucie, la belle Lucie jalousement protégée de mes signes d’amoureux timide par la garde de ses trois frères – logeait au numéro 29, que je surplombais depuis le 31bis, nouvelle demeure de mes parents jusqu’en 1962.
Pourquoi suis-je revenu ?
Pour m’assurer que les escaliers Sampiero Corso sont toujours rudes et tortueux ?
Retrouver depuis le petit mur au fond du jardin, la baie d’Alger, cernée par la route moutonnière et la pointe du Cap Matifou au loin – Rechercher les odeurs du fouillis fleuri du petit jardin que ma mère entretenait jalousement – Ma mère avait la main verte, très verte hélas !
Quelques branches de géranium ou de bégonia qu’elle bouturait proliféraient abondamment.
Jardin de jour éclatant de couleurs – Jardin de nuit dans une palette de blanc rouge et jaune des mirabilis du joli nom usuel de belles de nuit.
Aujourd’hui ces mêmes fleurs nous accueillent dans cette maison que j’ai quittée en 1962.
Deux enfants se dirigent vers nous – ils ont 12 ans l’âge de ma communion solennelle fêtée au milieu de ce parterre de fleurs.
« Qu’est-ce que vous cherchez ? »
« J’ai habité cette maison, je voulais vous dire bonjour ! »
Ils courent vers leur mère entrevue dans la cuisine et reviennent très vite souriants et, dans un français excellent :
« Vous venez dimanche manger le couscous ! »
Le couscous de ce dimanche ne sera pas Royal, mieux, il sera chaleureux.
Trois hommes nous accueillent – les femmes serviront le repas mais n’y assisteront pas. Par faveur spéciale le plus âgé de nos hôtes invite mon épouse à se joindre à nous.
Une nappe blanche recouvre une table carrée dont il me semble reconnaître les pieds.
Très vite les questions fusent – D’où venons-nous ? Que faisons-nous ! La vie en France ? Le travail…
Ils poseront plus de questions que nous n’en poserons, tant nous sommes émus d’être là, au milieu d’eux, heureux d’y être tout simplement.
Je réponds à leurs questions, les visages de ma famille apparaissent, floutés – Sur le mur gauche le plateau en cuivre que ma mère entretenait jalousement serait-il encore accroché ? Ma vision se trouble.
La voix de ma mère tout à coup m’intimant « de ne pas garder mes mains sous la table ». Je réponds toujours, et prends conscience que, oui, j’ai les mains sous la table. J’hésite encore, je tâtonne sans trop remuer les bras sous la table. Il est bien là, aussi énorme, solide, démesuré par sa taille que bien ancré dans ma mémoire.
Dans les années 50 ma mère s’aperçoit un jour que la table de la salle à manger manque d’équilibre.
Elle s’adresse au plus courageux d’entre nous, son gendre, d’autant plus heureux de briller aux yeux de sa belle-mère qu’il apprécie ses excellents couscous.
Le dimanche suivant armé d’une masse et d’un long clou de charpentier il retourne la table, et frappe, frappe longtemps ce sacré clou semblant se refuser à pénétrer le bois.
Mais rien ne résiste à ce gendre bienveillant, et après quelques ultimes craquements inquiétants, deux petits coups de masse de sécurité : travail achevé la table est renversée ma mère aussi, de peur, ayant entendu les coups assénés sur sa déjà vieille table – mais la table tient.
Elle tiendra longtemps – je ne l’ai jamais autant aimée qu’à cet instant – Heureux qu’elle soit là, à la même place pour toujours – elle témoigne de notre vie dans cette maison.
Couscous achevé nous remercions nos hôtes pour ce moment chaleureux, et sans leur dévoiler le secret de la solidité de leur table je quitte, une dernière fois la rue Dupetit Thouars.
Alger Juillet 1972

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Mon père s’est marié au 23 rue dupetit thouars moi j’y suis né
La maison appartenait à la famille aïdat
Heureux d’apprendre votre voisinage passé avec mon camarade d’école Mustapha Moussaoui avec lequel j’ai continué longtemps de correspondre. Je me souviens bien sûr du 23 où je le rejoignais souvent Amitiés
Bonjour
Je ne sais pas si vous êtes au courant mais Mustapha Moussaoui est décédé il y a quelques années
Oui j’ai été informé du décès de Mustapha Moussaoui avec lequel nous avons correspondu longtemps. Je l’avais rencontré une dernière fois au Val de Grâce à Paris , où il était venu se faire soigner. Nous avons été très émus l’un et l’autre lors de cette rencontre, tant nous avions de souvenirs communs. Merci pour votre message
Nous , petits enfants et arrières petits enfants de cette génération, nous vous remercions de votre blog qui permet de garder une trace de ces temps pas si anciens que nous découvrons ou redécouvrons grâce à tous ces témoignages si précieux.
Merci encore
Annick fille de josé SAPENA ( fils de Mr SAPENA épicerie)
Merci pour ce beau message de souvenir et d’amitié. Pour que je situe mieux l’épicerie de monsieur Sapena, dites moi où elle se trouvait. Il me semble bien me souvenir du nom de Sapena. Avec mes amitiés. A. Limoges