LA TROUPE DE RADIO ALGER

S’il y eut une Radio dont l’influence artistique fut considérable sur le public ce fut bien celle d’Alger dans les années de l’immédiate avant guerre, jusqu’à l’arrivée de la Télévision en Algérie en 1957, et même bien au-delà.
Les premières émissions de Radio, en Algérie, se déroulent dans des locaux mis à disposition dans l’immense bâtiment du « Gouvernement Général » tout prés de cette place du « Forum », plus tard haut lieu historique dans les années 60.
Dans ces locaux, situés rue Berthezène, chaque jour un bulletin d’information est diffusé avec déjà une météo. L’illustration musicale se compose pour l’essentiel de disques ou d’interprétation, en direct, dans le studio. Aucun enregistrement n’existant encore à l’époque.
Les premières diffusions de dramatiques se situent aux alentours des années 1934-35. Une quinzaine de comédiens, au cachet, constituent cette première Troupe, dirigée par Alec Barthus.
Personnage tout de rondeurs, d’esprit, de culture, rabelaisien, jouisseur de bonne chère, amateur d’art, bourré d’imagination et d’idées, Alec Barthus sut percevoir dans ces années en creux intellectuel, le mirage que pouvait représenter la dramatique Radio.
Dans une Algérie où la vie culturelle est réduite, hormis la capitale bien entendu, la soirée Théâtre deviendra très vite incontournable.
Faut-il reprendre la belle image du cheminement qu’il était possible de faire de seuil en seuil, de fenêtre en fenêtre, ouvertes sur les tièdes soirées méditerranéennes, en suivant le déroulement du Drame ou de la Policière !
Cette Troupe naît donc dans les années qui précèdent la Guerre de 1939.
Et, sous l’impulsion du bouillant Alec Barthus, elle sort quelquefois des studios de la rue Berthezène pour une tournée en Algérie.
Le jeune Albert Camus se joint alors à l’équipe : c’est ainsi qu’il interprète le rôle de Gringoire de Théodore de Banville aux côtés de deux comédiens de la Troupe qui restent ses amis : Renée Audibert et Géo Wallery.
Durant les années de guerre la Troupe s’enrichit de la présence forcée à Alger de personnalités théâtrales de premier plan de la scène française, qui, retenues en Afrique du Nord, à l’occasion de tournées ou voyages, appuient de leur prestige ce théâtre radiophonique.
Cela est notamment le cas de Françoise Rosay et Lucienne Lemarchand, qui succédant à Alec Bathus ont toutes deux une influence sensible et sur le répertoire et sur le jeu des comédiens.
Cela est aussi l’époque où la Troupe d’expression française quitte définitivement les studios de la rue Berthezène en 1943, pour s’installer au 10, rue Hoche, dans le centre ville d’Alger, où elle se produira jusqu’en 1962.
La programmation théâtrale de Radio-Alger, comme celle de la plupart des stations métropolitaines est constituée :
de comédies tirées du répertoire de boulevard de l’entre-deux guerres : Marcel Pagnol, Marcel Achard, André Roussin, Henry Bernstein, Edouard Bourdet, Georges Neveux, etc…
de grands mélos tels les Deux orphelines ou la Porteuse de pain, etc.
de classiques en vers ou en prose, du répertoire français : l’Avare, les Femmes savantes, le Misanthrope, etc…
et de quelques œuvres écrites spécialement pour la Radio, mais rares encore jusqu’aux années 1950.
Cependant l’Algérois Gabriel Audisio ou l’Oranais Emmanuel Roblès voient leurs œuvres créées sur les ondes d’Alger, et ne dédaignent pas de visiter la troupe à cette occasion.
La Presse Quotidienne Régionale fait écho des diffusions les plus marquantes et la critique d’ « Alger Républicain », Yvonne Lartigaud est particulièrement redoutée, de même que celui de »L’Echo d’Alger » qui signe « Audio ».
Dès la fin de la guerre la Troupe de Radio-Alger connaît son apogée sous l’autorité d’un grand directeur et acteur : Georges PORTAL, qui présidant à la programmation et à la direction des comédiens marquera fortement sa présence durant une dizaine d’années.
Une équipe solide de comédiens professionnels se renforce autour de lui :
Charles Amler, Renée Audibert, Clément Bairam, Marcus Bloch, Huguette Eymar, Geneviève Fiori, André Fouché, Elyane Gautier, Catherine Georges, Paulette Gervais, Jean Glénat, Paule Granier, André Lesage, Edmond Liorel, Charles Mallet, Roger Picard, Georges Portal, Max Roire, Raoul Rolland, Laure Senty, Roland Valade, Géo Wallery.
Le rythme de diffusion est de deux dramatiques par semaine. La diffusion s’effectue souvent encore en direct ou par enregistrement sur disque « dur » jusque dans les années 55, et chaque dramatique est répétée quatre services de quatre heures minimum.
La Troupe sédentaire ne chôme donc pas car à ces huit séances « dramatique » hebdomadaires s’ajoutent dans les années 50, une « policière » inédite dont le succès fut inouï auprès du public :
La policière du dimanche soir devient très vite l’évènement. Et chacun de se passionner pour les aventures de l’Inspecteur Pluvier, sorte de Maigret algérois, qu’incarnera un remarquable comédien : Marcus Bloch.
Ces années 1945 à 1960 sont les plus belles pour la Troupe qui jouit d’un véritable prestige auprès du public.
Les auditeurs attendent l’interprétation toute de gouaille de Max Roire, d’autorité de Renée Audibert, de distinction d’André Lesage, ou de finesse de Laure Senty…
A Georges Portal succèdent André Allehaut et enfin Pierre Héral jusqu’en 1962.
C’est Pierre Héral qui prend l’initiative de renforcer la troupe de quelques comédiens parisiens, venus en saisonniers, apporter un air nouveau :
Robert Party, Marcelle Duval, Marcel Lemarchand, Pierre Comte, Pierre Bonzans, Laure Diana, Pierre Plessis entre autres.
Cependant que la naissance de la Télévision à Alger, en 1957, permet l’emploi en radio de comédiens venus jouer quelques jours pour une dramatique en direct à la Télé : les comédiens de France V ont ainsi pour partenaires :
Ginette Leclerc, Jean Marchat, Annie Ducaux, Jean Veber, Madame Simone, Renée Saint Cyr, Valentine Teissier.
Le répertoire traditionnel s’enrichit alors tout naturellement de l’écriture radiophonique des années 50-60, et subit l’excellente influence de la direction de Paul Gilson aux programmes, à Paris.
Les feuilletons spécialement conçus pour la Radio, tels ceux écrits par Madame Liliane Thorpe, ont un succès énorme auprès du public : Jean Veber en est l’interprète à plusieurs reprises.
La réalisation des dramatiques est assurée par le seul metteur en ondes sous contrat : Paul Ventre, et par des comédiens de la station : Renée Audibert, Géo Wallery, plus tard Max Roire et André Lesage.
Ces deux comédiens – vedettes de la Troupe – assument progressivement avec talent de plus en plus de réalisations jusqu’en 1962.
Durant ces années 55-60, Pierre Héral est Chef des Services Artistiques – cependant que Jacques Bedos assume les « Variétés » ; et à ce titre il choisit les textes des policières (écrites par un policier d’Alger et par un employé de l’Electricité et Gaz d’Algérie ») et il les réalise souvent lui-même ou les confie aux réalisateurs déjà cités.
Jacques Bedos a été, en Algérie, puis en France cher Polydor, un prodigieux découvreur de talents, dont l’histoire devra être écrite.
Dans les années 1955-60 la dramatique reste encore l’élément de prestige de la station de radio.
Après le disque dur, elle est maintenant enregistrée sur bande magnétique en 38 cm/seconde.
Les comédiens évoquent avec nostalgie cette émotion du direct, que jamais l’enregistrement et ses multiples reprises ne donneront.
L’équipe sédentaire reste quasiment la même jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
Quelques réalisateurs, issus des concours « Gilson » viennent passer une saison à Alger : c’est le cas de Bernard Latour, plus tard de Claude Chebel.
La Guerre d’Algérie a elle aussi une conséquence sur la composition de la Troupe, comme l’avait fait la Guerre de 1940 :la présence de jeunes comédiens, militaires du contingent, qui apportent leur talent à l’équipe des routiers chevronnés que sont les permanents : c’est le cas notamment de Dominique Paturel et de Michel Aumont de la Comédie Française.
La tourmente de 1962 disperse une équipe d’acteurs liés entre eux par vingt cinq années d’amitié, de complicité, de talent.
Aucune archive sonore ne subsiste de cette période importante de la vie algéroise.
Mais leurs voix demeurent dans les mémoires.

Les photos de la troupe de Radio-Alger ont été prises par le Studio Romanet-Marti dans les années 50. (Collection de Nicole Wagner-Vriz)
19 images
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Lien externe : http://esmma.free.fr/mde4/trouperadio.htm

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J ai découvert votre blogcar je viens de pouvoir aller sur internet, je me permettrai de révéler ces pépites de souvenirs à tous mes amis de différentes associations algéroises merci monsieur
Bonjour ,
Je découvre votre blog avec tous ceux de Radio-algérie.Quel bonheur !
Je suis venu rue hoche pour enregistrer une émission de disques à la demande
et avait de ce fait croisé une partie de la troupe que j’écoutais .*
J’ai des photos dédicacées de Chaeles MALLET (1952)Géo Wallery (1953)qui habitait rue Arago à côté du Consulat de Gréce (Immeuble ECHO D’ALGER)ou j’étais coursier à l’époque.
Bien cordialement,
Bonjour Jean-Louis Moll, Merci d’évoquer ces deux remarquables comédiens que furent Charles Mallet et Géo Wallery – Même si leurs “emplois” au théâtre aient été fort différents : Mallet jouait les jeunes premiers et Wallery les “compositions”. Géo Wallery a continué à travailler à la Radio à Paris après l’Algérie et Charles Mallet est devenu Speaker à Radio France. Bien cordialement A. Limoges
Vendredi 12 juin 2020
J’ai découvert par hasard votre blog. Que de souvenirs me reviennent en mémoire. Je n’ai pas oublié à soixante ans de distance les soirées théâtrales de Radio Alger. Je les suivais régulièrement dans les années 50 ainsi que les enquêtes de l’inspecteur Pluvier et son fameux « Tiens, tiens tiens » annonciateur de la proche résolution de l’énigme. C’étaient de grands moments de radio.
Bien cordialement.
Geo wallery était mon oncle ,un homme exceptionnel.
Geo Wallery, votre oncle, fut un remarquable professeur au Conservatoire d’art dramatique d’Alger, où je fus son élève, puis son ami. Mais il était aussi un des acteurs permanents de la Troupe de la Radio d’Alger, où il réalisa lui-même plusieurs pièces avec succès. Il a joué en tournée en Algérie, aux côtés d’Albert Camus la pièce « Gringoire » de Théodore de Banville – Une photo illustre cette rencontre. Cordialement
Bonjour,
Je recherche des souvenirs de ma grand mère paternelle Gabrielle Girard épouse Lafage qui animait une emission de thétre enfantin en kabyle à Radio Alger dans les années 50
Merci pour votre aide
Marina Lafage
Je ne peux malheureusement vous aider n’ayant aucun souvenir de cette émission en langue kabyle animée par votre parente. Cordialement A.Limoges
Bonjour
Navrée d’apprendre le décès de tant de comédiens appréciés et c’est en cherchant un détail sur Dominique PATUREL que j’ai trouvé votre page. Je cherche depuis 60 ans qui a tourné la Passion du Christ sur les hauts d’Alger. Il y avait u gros plan sur les yeux de l’artiste et je pense que c’est Dominique PATUREL. j’avais une dizaine d’années et je n’ai pas oublié. Bien cordialement.
Bonsoir, Comme vous j’apprends aujourd’hui avec beaucoup de tristesse le décès de Dominique Paturel qui fut un excellent comédien dont la carrière avait débuté au TNP sous la direction de Jean Vilar. Mobilisé durant la Guerre d’Algérie dans les années 60 il se retrouve en garnison à Alger – Et la possibilité lui est offerte de participer brillamment au lancement de la Télévision (1957-1962), qui s’empare de ce comédien jeune, beau et talentueux lui donnant l’occasion d’être l’interprète de plusieurs dramatiques. Il fut comme vous l’indiquez, bouleversant dans le rôle du Christ de la Passion où je jouais à ses côtés. J’ai évoqué longuement ce moment que vous avez retrouvé dans la rubrique « La Télévision en Algérie ». De retour en France il poursuivra sa carrière tant soit en Télévision qu’au Théâtre avec panache. Je garde de lui un souvenir fraternel et amical. Bien cordialement