DE LA FAMILLE HERNANDEZ A LA PUREE DE NOUS Z’ÔTRES

La Famille Hernandez naît à Alger en 1957 de l’imagination de deux comédiennes amateurs :
Anne Berger et Lucette Sahuquet dont le talent d’improvisation stupéfie leurs premiers spectateurs, parmi lesquels Robert Castel, amateur lui aussi qui aimerait bien rentrer dans ce jeu-là – Mais les sketches de deux jeunes femmes ne comportant pas de rôle pour lui, Lucette Sahuquet propose alors « On va donner à Robert le rôle d’un bègue comme cela la pièce durera plus longtemps ».
Stimulé par cette proposition Robert Castel écrit à son tour plusieurs sketches :
« Je les avais écrits, je les avais pensés et formulés en cassant la syntaxe, avec les fautes délibérées d’un mauvais français, mâtiné d’arabe, d’espagnol et d’italien en pensant que ce type de formulation et les trouvailles qui en découlaient (pour valoir ce qu’elles valaient) étaient plus accessibles aux oreilles métropolitaines que nous devions séduire ».
Tous ces sketches ont un énorme succès parce qu’ils traduisent de manière authentique la vie quotidienne d’un quartier populaire d’Alger, Bab-el-Oued, avec ses querelles et sa fraternité, dans un langage haut en couleur dans lequel pouvaient se reconnaître d’autres communautés en France.
La pièce a un tel retentissement qu’à l’Indépendance de l’Algérie, tout le monde pense en métropole qu’un million de Français venus d’Algérie a l’accent de ce trépidant quartier de Bab-el-Oued !
La Famille Hernandez est jouée à Paris et dans le monde de 1957 à 1959.
Mais le succès appelant le succès, après l’Indépendance de l’Algérie, la troupe se reconstitue en 1962, toujours sous la direction de Geneviève Baïlac, et propose un nouveau spectacle :
« Le retour de la Famille Hernandez » créé en 1962 au Théâtre Gramont.
L’allusion au retour, en relation évidente avec le drame vécu par les Français d’Algérie, n’en comporte pas moins des épisodes évoqués avec drôlerie, sans amertume.
« Car lorsqu’on vient d’en rire… »
La pièce obtient un succès tel, qu’elle est jouée 15 jours en Angleterre, à Oxford !
Une « Tournée des mouchoirs » de la Famille Hernandez, où l’on rit plus qu’on ne pleure, suit le « Retour ».
Enfin la saga de cette prodigieuse Famille qui sait rire, même de ses malheurs, se termine en 1987 par une dernière série de représentations au Théâtre du Gymnase malicieusement intitulée « La Famille Hernandez toujours là ».
Elle est d’autant plus là qu’elle a généré des vocations : Marthe Villalonga, créatrice du rôle de Madame Sintès, du haut de sa fenêtre de la Famille, fait depuis une belle carrière au Cinéma, au Théâtre, et particulièrement à la Télévision qui l’a rendue populaire dans le rôle de Maguy.
Anne Berger, à l’origine de cette aventure avec son amie Lucette Sahuquet, se produit depuis au Théâtre et plus encore au Cinéma.
Lucette Sahuquet et Robert Castel quittent la Famille après les 400 représentations de 1957 à 1959 – Et à partir de 1962 se produisent dans quelques cabarets parisiens, interprétant avec succès quelques sketchs de leur composition.
Jacques Bedos connaît Lucette Sahuquet et Robert Castel pour les avoir distribués à plusieurs reprises dans les émissions de variétés qu’il produisait à la Radio et à la Télévision à Alger jusqu’en 1962. Doué lui-même d’une imagination sans fin et d’un sens inné de la réalisation il voit aussitôt les possibilités qu’offre leur spectacle et leur propose de construire avec eux une fantaisie musicale en deux actes basée sur leurs sketchs : ce sera « La purée de nous z’ôtres » créée le 23 janvier 1963 au Théâtre des 3 Baudets à Paris.
Robert Castel écrit dans son livre de mémoires « Je pose 75, mais je retiens tout » Editions Ramsay – 2009 :
« Entre 1957 et 1963 de l’eau avait coulé sous les ponts de la Seine et dans les Oueds de l’Algérie – Entre la Famille Hernandez et la Purée de nous z’ôtres, un monde s’était défait, un autre se refaisait.
Nous, avec Purée, nous avions écrit une pièce qui racontait l’arrivée à Paris d’un couple pied noir, les tourments d’une nouvelle installation, dans un milieu inconnu, voire hostile. Mais gageure ardue, nous voulions faire rire avec nos malheurs – C’est par le rire que nous voulions gagner. Il n’y avait pas dans notre esprit d’arrière-pensée politique.
Le titre que Lucette avait trouvé était le reflet de notre ambition. On était dans la purée, nous z’ôtres et on allait essayer de s’en sortir. (Professionnellement pour moi la création de la Purée de nous z’ôtres était autrement plus importante que celle de la Famille Hernandez : c’était un deuxième accouchement). La première fois c’était tout nouveau tout beau. La deuxième fois la question était : « Comment allions nous être reçus ? » On risquait gros. Pour le savoir il fallait y aller –Nous l’avons fait ».
Et Robert Castel et Lucette Sahuquet ont eu raison de le faire car cette création au Théâtre des Trois Baudets fut un triomphe.
Pierre Marcabru, de Paris Presse intitulera son article : « Une réunion de famille entre exilés : Comme si tous les habitants d’un quartier dévasté se réunissaient un soir pour parler de leur rue, de leur enfance et de bonnes blagues. Et cela sans méchanceté, sans aigreur, sans insolence, avec une sorte de bonne humeur irréductible mais cependant au bord des larmes ».
Jean Daniel, en fin connaisseur de la situation évoquée dira : « Il y a dans cette pièce des trouvailles d’une irrésistible drôlerie, et dans l’humour il y a d’authentiques accents d’une douleur courageuse puisqu’elle est sans imprécation. Celle d’hommes arrachés à leurs racines, à leurs souvenirs d’enfance et à leurs morts. J’ai entendu un mot magnifique l’autre soir : « Ils nous ont volé notre enfance ».
Certes la critique distingue Robert Castel (« un vrai comédien » : Jean Daniel) mais Lucette Sahuquet a une part considérable dans cette réussite par ses stupéfiantes improvisations ou ses répliques qui fusent, dignes de Marcel Pagnol, et qui sont pour beaucoup dans la réussite de « La Purée » comme elles l’avaient été dans celles de « La Famille » lors de ses échanges avec Anne Berger .
En hommage à sa compagne, disparue en 1987, Robert Castel cite deux phrases jaillies un jour devant lui, et qui résument bien le souvenir que l’on puisse conserver de Lucette Sahuquet : – « Je suis tellement fatiguée que, même couchée, je ne tiens pas debout ».
Et encore : – « Y en a qui disent qu’elle chante faux, mais du moment que c’est avec le cœur, moi je dis que ça n’a pas d’importance ! »
Après le départ de Lucette Sahuquet Robert Castel, « Ce phénomène extraordinaire », comme l’écrivit un jour le « Canard enchaîné » fait une belle carrière au Cinéma, à la Télévision et au Cabaret.
Le bègue de la Famille Hernandez, qui avait débuté dans la vie comme instituteur d’une classe de petits algériens à Hussein-Dey auxquels il apprenait à chanter « Il était un petit navire », peut tout retenir du beau parcours de comédien qu’il est devenu – et qui continue à nous surprendre par une autre facette de son talent, celle de violoniste du film « El Gusto ».
Pour tous les Français d’Algérie, dont beaucoup n’avaient jamais mis les pieds à Bab-el-Oued et n’avaient aucun accent, ces pièces avec leur spontanéité, leur verbe fort, leur humour furent un symbole du Paradis perdu, là-bas… Une certaine façon chaleureuse de se reconnaître illustrant le mot d’un des leurs, qui lui avait de l’accent :
« Je reconnais mes fils et mes frères à ce rire d’amitié qui me prend devant eux ».
Albert Camus
Les citations de Robert Castel sont extraites, avec l’autorisation de l’auteur, de son livre : « Je pose 75, mais je retiens tout » Editions Ramsay 2009. Robert Castel est également l’auteur de « Inoubliable Algérie » Editions Horay

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je découvre cet article par hasard aujourd’hui 14avril 2018 et je le lis avec émotion … j’ai vu à Paris en 1963 « Purée de nous z’ôtres »et j’avais adoré ce spectacle chaleureux ; merci pour toutes les précisions que vous nous apportez ici mais pourquoi ne parlez-vous pas de Georges Blanessqui chantait dans le spectacle et qui a fait ensuite une jolie carrière musicale et cinématographique ( voir les demoiselles de Rochefort ) ?
Purée de nous z’ôtres
Comme vous je suis sensible à cette “purée de nous z’ôtres” qui a déclenché tant de rires et fait couler tant de larmes. Jacques Bedos, co-auteur de la pièce avec Robert Castel et Lucette Sahuquet, m’en parlait encore avec émotion, lors de notre dernière rencontre, quelques mois avant son décès le 20 mai 2017. Certes Georges Blanès a eu sa part méritée dans le succès du spectacle – La suite de sa carrière l’a prouvé. Je vous remercie de votre message qui lui rend ainsi ce qui lui revient. A. Limoges
Magnifique touchant mon ex vie
Plus que jamais émouvant, cher André, alors que Robert Castel vient de nous quitter. Affectueux souvenir d’Albert et de nos années 60-61 sur France V (ex Radio Alger)
Cher Albert, évoquer Robert Castel cela va bien au-delà de sa personne – (sympathique par ailleurs !) Cette nostalgérie que tu as si bien décrite il en était un des symboles : la parole, le geste, l’humour. Nous avons eu plaisir Madeleine et moi à passer une soirée avec lui A toi fidèlement. André