FIGURES ALGEROISES : AUGUSTIN-FERNAND LEYNAUD (1865-1953)

Monseigneur Leynaud , figure la plus emblématique de l’Eglise catholique d’Algérie, après celle bien entendu, pour des raisons historiques du Cardinal Lavigerie – dont il fut le Secrétaire particulier en 1889.
Après un sacerdoce à La Goulette et à Sousse, élu Archevêque d’Alger le 26 décembre 1916, il présidera le diocèse jusqu’à sa mort le 5 août 1953, soit durant trente sept années.
Tous les enfants de ce diocèse ont connu, ont vu Monseigneur Leynaud peut-être et même sûrement sans le savoir :
Chaque année les communions solennelles étaient célébrées avec apparat et la Consécration administrée par un Evêque, de deux doigts posés sur la joue du jeune communiant. Cette mission fatigante étant donné la longueur des cérémonies et le nombre d’églises, aurait pu être dévolue à l’un des Vicaires généraux Poggi ou Jacquier – Ce qui fut le cas en de rares occasions, Monseigneur Leynaud tenant particulièrement à procéder lui-même à cette bénédiction.
Il avait, avant l’heure, ce que nous appelons un grand sens de la Communication. Il pressentait ce que sa présence chaleureuse irradiait. Sa stature y étant pour beaucoup :
Une grande barbe que j’ai toujours connue grise, un léger embonpoint, des gestes lents, une allure sereine, un regard empreint de bonté.
La grand-messe de la Cathédrale le dimanche à 11 heures le voyait présider sur le trône épiscopal – Cérémonie longue, entrecoupée des chants de la Chorale Coecilia dirigée par Monsieur Périsnard – Tous moments durant lesquels fidèles et prêtres sont assis.
La malice consistait alors à observer l’Archevêque statufié sur son trône, yeux clos :
Etait-il simplement recueilli, somnolait-il ? L’on penchait plutôt pour la somnolence, son immobilité et son visage marmoréen semblant indiquer qu’il venait de nous quitter fut-ce un petit moment ; heureuse aventure pour un saint prélat que de s’en aller en pleine célébration vers quelque paradis accueillant !
« Ite missa est »
La cérémonie s’achevait enfin et une Toccata brillante éclatait sous les voûtes de la Cathédrale Saint Philippe – Commençait alors le moment favori de l’Archevêque d’Alger suivi de ses deux Vicaires généraux Jacquier et Poggi.
Dans une procession à pas lents Monseigneur Leynaud traverse toute la nef de l’église en bénissant généreusement la foule : il y prend un plaisir extrême, car il se sait aimé par ces hommes et ces femmes qui voient en lui un bon grand-père au regard de bonté plus qu’un dignitaire de l’Eglise. Aussi il ralentit encore, et il bénit….
Parvenu à la porte de la Cathédrale il redescend vers la sacristie par une allée latérale, et là commence le grand moment de sa messe du dimanche.
Nos chroniqueurs politiques diraient qu’il est « au contact » – les assistants quittent leurs chaises et se pressent auprès de lui dans l’allée, ils veulent le voir, de près cette fois, le toucher peut-être ce saint homme, s’agenouiller à son passage, ou lui présenter un bel enfant dont il caresse le front d’une onction légère.
Monseigneur Leynaud est heureux : désirant bénir chacun il ralentit de plus en plus – Le passage devant la statue de Saint Pierre est un arrêt forcé, les Italiens s’étant plus particulièrement regroupés à cet endroit, afin d’embrasser le pied de marbre de celui qui leur ouvrira, espèrent-ils, le Paradis. L’archevêque a beaucoup de joie à se retrouver auprès de ces chrétiens-là, à la foi très chevillée au corps.
Son Secrétaire Monseigneur Jacquier le protège discrètement des mains et bras tendus pour une bénédiction. Monseigneur Poggi, moins « people » fut-il chrétien, s’agace discrètement, car l’heure tourne et le cortège piétine.
L’on pense tout à coup à cette histoire un peu cruelle mais si vraie d’une certaine façon, que rapportent en s’en amusant les familiers de l’Archevêque :
« Augustin Leynaud est mort. Il arrive au Paradis. Saint Pierre le reçoit chaleureusement. Mais au moment d’entrer, l’Archevêque se tourne vers son Secrétaire Jacquier qui bien sûr l’a suivi dans ce grand départ, et l’Archevêque de s’étonner :
Jacquier, où sont les photographes ? »
Oui Monseigneur Leynaud aimait qu’on l’aime et que cela se sache. Mais il a tellement lui-même aimé les autres en soixante cinq ans de vie religieuse que l’on peut lui reprocher ce petit péché d’orgueil.
La Toccata que l’organiste a dû prolonger en de savantes variations afin d’accompagner le cortège dans tout son déroulement dominical, s’achève enfin, et Monseigneur Leynaud, heureux, rejoint la sacristie dans l’attente de la messe de dimanche prochain.

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